Box de Mephistos

Une voiture tirant un van s'arrêta, non loin de l'allée, et ce fut un concert de claquements de sabots sur le sol du van. Quelques regards, équins comme humains, se tournèrent vers le nouvel arrivant pour l'instant inconnu. Un lad s'approcha, échangea quelques mots avec l'homme qui était à présent hors de sa voiture et qui, visiblement, attendait. Les mots "nouveau", "étalon", et "vente massive" s'échappèrent de leur conversation. "N'en sais pas plus" marmonna le conducteur, qui semblait n'être là qu'en tant que livreur. Le lad hocha la tête puis se perdit un instant dans ses réflexions, tandis que le conducteur observait le haras.
Le sabots tambourinèrent à nouveau, rappelant les deux hommes à l'ordre. Le lad, comme tiré d'une somnolence, bondit soudain et s'activa fébrilement. Le conducteur ouvrit la porte arrière du van, tandis que l'employé ouvrait la petite porte à l'avant, détachant le cheval bai qui gardait les oreilles dans une position quasiment verticale, penchant légèrement vers sa nuque. Il le poussa doucement, lui murmurant des mots doux, sifflotant, mais rien n'y fit : l'étalon ne fit pas un pas. Le conducteur grommela entre ses dents les mots "carne", "rien à en tirer". Mais l'autre homme insistait et le cheval finit par réaliser que sa seule envie en cet instant était celle de sortir. Il recula donc doucement le long du pont et le conducteur l'attrapa.
Mephistos était arrivé.
Le lad vint prendre la longe des mains de l'homme qui ne faisait preuve d'aucune douceur avec l'étalon qui s'agitait, furieux d'avoir été enfermé aussi longtemps. "Merci" siffla l'employé entre ses dents. Sans un mot de plus, l'homme referma le pont du van et remonta dans sa voiture. Sifflotant toujours pour calmer l'animal massif et vraisemblablement agacé par tout ces déplacements qu'on lui imposait, il guida Mephistos jusqu'à un box, déjà marqué de son nom complet : "Mephistos des Vinées".
"Te voilà chez toi mon grand" fit doucement le lad, en ôtant le licol au cheval après l'avoir installé dans son box. "Repose toi bien" murmura-t-il en tapotant l'encolure fine, bien que musclée, du cheval qui ne se souciait déjà plus de lui.
L'étalon, enfin seul, renâcla bruyamment. Une fois la porte refermée derrière le lad, il passa sa tête par dessus cette dernière, observant sa nouvelle demeure avec intérêt.

Habitué aux journées qui commencent tôt, Mephistos, avant même que le soleil laisse paraître ses premiers rayons, reprit son observation silencieuse de ce nouveau monde, attendant sa ration du matin.
Ce ne fut pourtant pas la ration qui vint la première, et l'étalon, en voyant un homme chargé d'une selle, d'un filet, et des outils nécessaires au pansage, repassa vite sa tête derrière la porte.
Celà ne dissuada bien sûr pas l'homme de pousser doucement le loquet qui retenait la porte fermée et d'entrer dans le box, où Mephistos s'était remis à mâcher nonchalament quelques brins de pailles qu'on pouvait voir dépasser des comissures des lèvres noires du cheval.
"Bonjour, p'tit nouveau !" souffla gentiment celui que l'étalon cherchait à éviter. Sans le lourd chargement qu'il portait précédemment, il semblait moins imposant. Déjà, il était petit, à l'inverse du jockey qui avait fait courir à Mephistos toutes ses courses jusqu'ici. En effet, si ce jockey n'était pas un grand espoir pour l'écurie, c'était en partie à cause de sa taille tout juste réglementaire. Et puis, il était maigre, mais celà ne différait pas du précédent cavalier de l'étalon...
Mais surtout, ses mouvements n'étaient pas francs : il se montrait très timide avec l'étalon, ne le connaissant pas du tout. A cet instant, l'étalon commença à penser que les séances d'entraînements à venir seraient un vrai jeu.
L'homme entreprit de se saisir d'un cure-pied et d'attraper le premier antérieur du cheval. Mephistos commença par lancer furieusement son sabot en avant, puis, voyant qu'il était tenu fermement, il commença à essayer de se tourner pour botter. Mais, coriace, l'homme demeura accroché au pied et parvint à lui curer. Il en fut de même pour les membres suivants, ce qui n'agaça même pas le jockey. L'étalon renâcla, de plus en plus furieux. Ce fut ensuite au tour des brosses, qui fournirent à Mephistos une formidable occasion d'essayer de mordre, de botter, de ruer même. Mais le jockey gardait un calme et une résignation à toute épreuve. A chaque fois, il élevait la voix puis reprenait sa besogne comme si de rien était, soufflant toujours des paroles rassurantes, peut-être plus pour lui-même que pour le cheval bai.
Quand vint le tour du filet, l'étalon garda l'encolure dans une position anormalement droite pour empêcher le jockey de l'atteindre.
Finalement, après 1/4 d'heure de lutte passé, d'abord à essayer de faire baisser la tête au cheval, puis à lui faire ouvrir la bouche, le cheval était harnaché... Ou presque. Seule, restait la selle. Le jockey soupira : le pire était fait.
Lorsqu'il vint avec la selle, l'étalon coucha les oreilles et baissa la tête, permettant ainsi à son ventre de se contracter. Mais comme il était fait très fin, la sangle put lui être passée sans trop de problèmes. Enfin, le jockey le fit sortir du box et le mena en main jusqu'au terrain d'entraînement.

De retour au box, Mephistos se jeta sur la ration qu'on lui avait servie pendant son absence.
"Hé, doucement !" fit le jockey, riant à demi.
Il attrapa l'étalon par une rêne puis le força à se tenir immobile pour lui ôter son filet. Le pansage se passa beaucoup mieux que celui d'avant l'entraînement, car l'étalon était trop occupé à s'alimenter pour taquiner le jockey.
Une fois qu'il eût achevé de brosser la robe légèrement mouillée de l'étalon, il lui passa la main dans la crinière et lui administra une caresse pour le féliciter. L'étalon se montra totalement indifférent et garda le nez plongé dans la mangeoire. L'homme sourit puis poussa la porte, repartant avec son matériel.
Une heure plus tard, ce fut le lad qui l'avait accueilli hier qui ouvrit la porte. "Tu viens, on sort ?" dit-il doucement en passant un licol à Mephistos, qui était encore occupé à mâchonner vaguement quelques brins de paille. Par habitude et par plaisir, le cheval se saisit de la longe qu'il commença à mordiller. C'était l'un de ses jeux favoris, et il avait le don d'agacer les hommes. "Arrête !" ordonna fermement le lad en tirant sur la longe. Complètement indifférent à cet ordre qu'il trouvait dérisoire, Mephistos garda la longe bien serrée entre les dents.
Le lad s'approcha alors du cheval, chatouilla de ses pouces l'intérieur de sa bouche, le forçant ainsi à relâcher son étreinte. Il prit alors la longe juste au niveau de l'attache, l'empêchant ainsi de réitérer. Il le mena alors le long des allées, jusque dans un lieu qui, dans son esprit, allait plaire au cheval...

Le lad traîna derrière lui un étalon qui ne cessait de remuer furieusement sa tête, trottinant. Ils traversèrent l'allée de boxes et le lad ouvrit la porte sur laquelle on lisait le nom du cheval. Ce dernier s'ébroua, déçu de rentrer si vite. "Tout doux..." chuchota l'homme.
L'étalon, toujours relié à son lad par la longe, tira brutalement sur celle-ci pour aller fourrer son nez dans la mangeoire... Vide ? Il releva la tête et renâcla, de plus en plus furieux.
"Tout à l'heure" susurra le lad.
Il passa la longe par dessus l'encolure du cheval puis sortit un instant du box et attrapa une large couverture bordeau qu'il posa sur le dos de l'étalon. Il entreprit d'en attacher les sangles, ce qui n'était pas chose aisée au vu des nombreuses tentatives du cheval pour se dérober à ce poids qu'on posait sur son dos. Enfin, lorsqu'il eut terminé sa besogne avec les deux sangles de cuisse, il ôta le licol à Mephistos et sortit sans un mot de plus.
Une fois le calme revenu, le cheval se mit à mâcher quelques brins de paille.

J'observais la scene avec intéret. Un nouvel étalon ? Une nouvelle connaissance ? Pas mal... Mon antérieur blessé en l'air, je m'approche de ce nouveau, que je n'avais jamais vu. Comme l'habitude de l'écurie est de laisser la porte bien fermée mais les boxs ouverts, je peut facilement sortir pour voir mes congénères. Une fois l'homme partit, je m'approche de l'étalon en boitant, de ma jambe blessée.

- Bonjour ! T'es nouveau ?

Surpris par la voix qui venait de se faire entendre, Mephistos releva brutalement la tête, oreilles couchées en arrière. Qui osait le déranger pendant qu'il se reposait ? Une jument... L'étalon renâcla puis hésita un instant. Répondre ou replonger sa tête dans la paille jaune qui l'accueillait à bras ouvert ? Après tout, il ne perdait rien s'il répondait... Il s'ébroua pour remettre de l'ordre dans sa crinière noire puis regarda la jument de son habituel regard hautain.
"Hm..." répondit-il nonchalament, fixant toujours la nouvelle arrivée dans les yeux. Il passa la tête par dessus la porte de son box et s'aperçut qu'elle tenait sur trois jambes. Intrigué, il observa avec un intérêt non dissimulé le membre levé de la jument, mais n'ajouta rien.

Je hocha la tête sans rien ajouter. Apparement, je semblais déranger cet étalon. Je regarde la direction du regard de l'étalon, qui allait vers ma jambe blessée. Génée, j'essaye de la poser au sol, mais la releve aussitôt. Pour détourner ceci, je demande :

- Euh, tu es ici depuis longtemps ?

Je fais un grand sourir, qui, avec un peut de chance, éloignera les génantes questions à propos de ma jambe blessée...

Mephistos laissa le temps s'écouler avant de répondre, comme si cette réponse lui coûtait un effort suréquin (... bon d'accord c'était mauvais ça).
Finalement, ramenant son regard sur la jument, il répondit : "'viens d'arriver" d'un ton indifférent. Le silence s'installa de nouveau puis Mephistos, qui, bien que peu amical, était encore à peu près poli reprit : "Et toi ?" d'un ton un peu moins froid.
L'étalon attendit, mais finalement, l'arrivée du jockey -le même que la première fois- interrompit la conversation. Il jeta un regard surpris à la jument qui était hors de son box, mais n'intervint pas, prenant juste soin de barrer les éventuelles sorties offertes par l'écurie.
Il pansa et harnacha le cheval, subissant la même torture que quelques jours plus tôt, puis le sortit de l'écurie, regardant toujours la jument grise avec étonnement.

Une fois qu'il fut libéré du licol et que le lad l'eut laissé, Mephistos s'empressa de se rouler sur la paille de son box, détendant ainsi ses muscles.
Il décida de ne pas se relever, restant allongé sur le côté, somnolant, et relevant de temps à autres la tête pour grignoter quelques brins de paille.
Il profita d'un vrai sommeil pendant quelques heures, à tel point que le lad qui lui apporta sa ration le trouva couché.
Inquiet, il fronça les sourcils : "Eh ben, t'es pas malade quand même !" s'exclama-t-il avec une légère inquiétude. Mais dès qu'il vit le seau de granulés, Mephistos bondit sur ses quatre membres et savoura ce repas qu'il jugeait mérité.
"Bon, ça a l'air d'aller." sourit le lad en se dirigeant vers la sortie du box.
Mephistos acheva sa ration puis passa la tête par dessus la porte de bois pour observer l'écurie où les chevaux allaient et revenaient, accompagnés ou non par les hommes, certains revenant transpirants de l'entraînement, d'autres simplement agacé par un retour trop rapide du pré.
La nuit passa, et l'étalon avait fini par s'endormir, laissant toujours sa tête pendre derrière la porte du box. Le lendemain, il fut réveillé avant le levé du soleil par son jockey qui arrivait en sifflotant. L'étalon renâcla bruyamment et s'empressa de reculer dans son box.
Le jockey entra en sifflotant toujours, attrapa rapidement l'étalon au licol puis l'attacha à un anneau.
Il le pansa, ou plutôt, essaya car son cheval se montrait toujours aussi réticent. Il s'acharna pourtant et parvint à débarrasser l'étalon de la plupart des saletés accumulées sur sa robe. Il le harnacha ensuite en serrant la sangle autant que possible avec un étalon qui contractait les muscles de son ventre au maximum.
Lorsqu'il eut terminé sa besogne, il mena Mephistos hors du box et lui dit d'un ton rassurant : "allez, fais pas la tête, après je te laisse tranquille pour la journée !"

La journée précédente s'était déroulée sans la moindre incartade et Mephistos, après son entraînement, avait passé une journée paisible au box.
Le lendemain matin, un lad vint déposer sa ration dans sa mangeoire. Un peu étonné de ne pas aller s'entraîner, le cheval en fut ravi et se jeta avec avidité sur le granulé fraîchement distribué.
Il se rendit à peine compte, alors qu'il mangeait, qu'on était en train d'attacher autour de lui les sangles d'une couverture.
Ce ne fut que le midi, alors que l'étalon attendait sa deuxième ration, que le jockey revint. "Alors mon vieux, on t'a paré pour l'hiver ?" demanda gentiment celui-ci en observant la couverture bordeau déposée sur le dos du cheval.
Il l'ôta avec soin, tandis que le cheval se débattait pour tenter de voir si oui ou non, sa ration arrivait. L'homme se montra indifférent à l'agitation de son cheval qu'il commençait à connaître.
Il lui passa un licol puis l'attacha pour entreprendre un pansage laborieux, tout en tentant de calmer Mephistos, pensant que peut-être, un jour, il pourrait l'approcher sans que le cheval s'agite sans cesse. Il n'aimait pas voir le cheval chercher à le fuir.
Il lui passa les harnachements, puis retira le licol qu'il avait placé en collier pour passer le filet.
Il passa les rênes par dessus la tête de son cheval puis le sortit du box.

Mephistos fixait un point invisible au fond de l'écurie, dormant les yeux ouverts, renâclant de temps à autre. Il s'ennuyait.
Aujourd'hui, il faisait froid, et un entraînement pour se défouler lui aurait fait du bien. La couverture sur son dos ne le réchauffait pas assez à son goût.
Agacé par tant d'inactivité dans l'écurie, il repassa la tête à l'intérieur de son box et se baissa pour ramasser quelques brins de paille. C'était le milieu de la matinée et la ration avait déjà été engloutie, remplissant à la fois les fonctions de trompeuse d'ennui et de repas habituel.
L'étalon n'avait pas été sorti, ou presque pas, ces derniers jours, et celà lui déplaisait. Il sentait presque ses membres s'engourdir. La sortie la plus longue qu'il avait eue, c'était il y a deux jours, pour sa tonte, qui avait été fastidieuse à cause de ses incessants mouvements. Le cheval entreprit de faire le tour de son box, comme s'il y cherchait une quelconque occupation, puis décida finalement de s'allonger et de combler les heures vides en dormant.
Il fut réveillé par le loquet de la porte poussé par son jockey. Il coucha les oreilles en le voyant.
"Oui, je sais, je t'ai un peu laissé tomber... Excuse moi mon vieux."
L'étalon se releva, trop heureux de voir la perspective d'une sortie pour se montrer rancunier. L'homme lui passa un licol avec habileté, pour éviter les habituels jeux de son cheval, qu'il connaissait de mieux en mieux.
Il l'attacha et le pansa, après avoir retiré la couverture bordeau. L'étalon remua par habitude, mais le coeur n'y était pas : il ne demandait qu'à se défouler.
Les harnachements passés, le jockey sortit et mena l'étalon le long de l'écurie, puis plus loin.